« Hors Normes » : Les chevaliers blancs de l'humanité
- Marc-Olivier Fritsch
- 20 juil. 2021
- 3 min de lecture
De Eric Toledano et Olivier Nakache (2019 - 115 minutes)
Avec Vincent Cassel, Reda Kateb, Hélène Vincent, Alban Ivanov, Lyna Khoudri, Bryan Maloundiama, Benjamin Lesieur

Le cinéma d'Eric Toledano et Olivier Nakache a toujours eu un côté bons sentiments qui peut parfois gêner et même nuire à leurs bonnes intentions de départ. Mais Hors Normes semble échapper à l'écueil...
La vie n'est jamais aussi simpliste ou manichéenne.
Aussi, lorsque l'inspecteur de l'IGAS dit à la fin de Hors Normes:
"Si ça vous arrange de croire qu'il y a d'un côté un chevalier blanc qui fait tout pour aider l'humanité, et de l'autre, une administration froide, distante, déconnectée des réalités, les choses sont un tout petit peu plus nuancées et complexes."

Il n’y a pas de ligne de fracture entre le « hors normes » et la « norme », qui séparerait d’un côté les chevaliers blancs galopant hors des clous et des représentants de l’ordre figés dans leur administration ou leur service. En effet, il n'y a pas d'un côté les gentilles associations et de l'autre les méchants de l'administration. Il y a plutôt un système tout entier qui a fini par oublier l'humain.
On pardonne donc aisément ce côté bons sentiments cette fois car Hors Normes traite de la pâte humaine de manière équilibrée, sans tomber dans les clichés. Une histoire à taille humaine, sans voyeurisme ni misérabilisme, inspirée du cas réel d'un ami des réalisateurs.

Bruno est un juif excessivement généreux et tellement altruiste qu'il s'oublie et ne s'autorise aucune vie personnelle. Sa vie toute entière est absorbée par l'aide aux autres et en particulier la prise en charge de cas d'autistes dits complexes. Même s'il sort de son registre habituel, Vincent Cassel est juste dans ce personnage.

Malik, joué une fois encore par un remarquable Reda Kateb, est un ex caïd de banlieue parvenu à la totale rédemption en gérant une association offrant des activités extérieures aux autistes.
Un juif et un musulman sont partenaires et travaillent à un même objectif. Là encore, le film est intelligent, il n'insiste pas, cette collaboration est naturelle, elle va de soi. Les différences culturelles et religieuses ne sont pas le propos central.

Pourtant, ce n'est pas aussi simple de trouver comment traiter ces jeunes autistes, parfois violents pour eux-mêmes, leur entourage et pour la société toute entière.
Mais le film a cette vertu de poser la question qui, elle, paraît simple en apparence : que fait-on de ces cas d'autisme extrême ?
Faut-il les médicamenter pour les réduire à l'état de "légumes" ? Cela poserait de nombreuses questions sur notre conception de la dignité humaine.
Dès lors, faut-il les tuer ? La réponse est heureusement évidente. La question demeure : alors, que faire ???
Une partie de la réponse réside dans les moyens que la société veut se donner pour les traiter. Le film l'aborde lorsqu'il parle du financement indispensable et pourtant rarement présent.

Le film ne parle pas seulement d’autisme. En parallèle, par petites touches impressionnistes, le film évoque de nombreuses autres questions de sociétés.
Dans un pays où on représente beaucoup les communautarismes et les hostilités nées de l’histoire coloniale ou du conflit israélo-arabe, on voit sur cet écran des juifs à calotte, des musulmans à barbe et des femmes noires voilées qui travaillent ensemble et échangent des blagues intimes pour neutraliser leur stress.

Dans un pays où l’image de la banlieue est souvent celle de jeunes qui caillassent les policiers ou qui sont eux-mêmes bastonnés, l'expérience montrée ici, est celle de jeunes des cités qui amadouent l’agitation débridée ou la violence auto agressive de personnes vulnérables, et qui apprennent à les réinsérer.
L'histoire prend aux tripes parce que finalement eux, c'est nous. Nous renonçons à notre humanité lorsque nous acceptons que la société les maltraite.
Et quand Nakache et Toledano mettent ce tragique dilemme en images, accompagné comme souvent d'une magnifique musique, notre gorge se noue et des larmes coulent le long de nos joues.
J'y vois leur réussite : avec Hors Normes, ils parviennent à réveiller cette part d'humanité trop longtemps négligée en nous, trop accaparés que nous sommes par toutes les nouvelles technologies sensées embellir nos vies quotidiennes.

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