« Rebelle » : « Respectez vos armes comme vos nouveaux papa et maman ! »
- Marc-Olivier Fritsch
- 23 août 2016
- 4 min de lecture
De Kim Nguyen (2012 – 114 minutes)
Avec Rachel Mwanza, Serge Kanyinda, Alain Lino, Mic Eli Bastien, …
L’intention est évidemment bonne : réaliser une sorte de docu-fiction sur les enfants soldats en Afrique. Le sujet est malheureusement propice à des histoires déchirantes. Et pourtant, « Rebelle » nous laisse un sentiment bizarre, comme si le spectateur et ses émotions étaient laissées sur le bord de la route…

Avant tout, ce qui frappe dans ce film, c’est la beauté des images. On se sent immédiatement happé par cette atmosphère unique propre à l’Afrique : les couleurs, les vêtements, la lumière, les tam-tams, les chants, la « sorcière qui a des visions d'avenir », les gris-gris de protection, la presse à huile manuelle...La photographie de Nicolas Bolduc est vraiment belle.
Mais cette première impression est vite balayée par la violence, elle aussi malheureusement souvent associée à ce continent. On suit l’histoire de Komona, jeune fille de 12 ans enlevée par des rebelles quelque part en Afrique (le pays n’est jamais totalement identifié) et forcée à devenir un « enfant soldat ».
On verse alors dans une violence folle. La cruauté est la règle de vie numéro une. Les ravisseurs suppriment toute liberté et tout libre arbitre à ces enfants qui n’ont d’autre choix que de se plier à leur nouveau destin : chasser l’humain qui est en eux pour devenir une véritable bête de guerre sans aucun état d’âme. Désormais, ils agiront avec une brutalité sauvage qui n’a d’égal que la veulerie de leurs oppresseurs.

Le film restitue bien justement ce sentiment d’inéluctabilité : tout est violence, tout part et revient à la violence. Tout est question de vie ou de mort. Les enfants ne vivent plus, ils survivent. Et la survie est une lutte permanente. Aucun écart n’est permis. Le moindre faux pas est immédiatement sanctionné. Et la sanction est quasiment toujours la mort !
L’immersion dans le quotidien de ces enfants soldats est réussie. L’endoctrinement est également bien montré. Quand ils ne font pas la guerre, les enfants ont pour seul loisir de regarder des films de guerre à la télévision. On installe également un culte de la personnalité pour le « Grand Tigre ». On lui doit obéissance totale et des légendes accroissent ses pouvoirs et son autorité. Les enfants captifs rêvent évidemment de lui plaire : un système de récompenses stimule cette adoration. Evidemment, les cadeaux sont des armes, toujours plus perfectionnés pour les plus zélés. Même les magnifiques sonorités des chants africains ont des contenus ultra guerriers. La violence, toujours et rien que la violence…Belle illustration de la loi de la jungle, où dominants et dominés cohabitent au sein d’un système orwellien implacable.

L’oppression est sublimée par la mise en scène. La caméra épaule utilisée dans les scènes de guérilla accentue la nervosité et la peur. Les sons aussi y participent : le silence assourdissant de la forêt contraste avec le bruit tonitruant des balles qui fusent.
Une telle existence est bien évidemment insupportable. La seule façon d’y résister est de sombrer dans la drogue. Les ravisseurs s’assurent que les enfants mangent bien « la sève magique des arbres » pour pouvoir encore davantage tuer de sang froid. Le film bascule alors dans une sorte de cauchemar permanent ponctué par les hallucinations de Komona. En mode quasi onirique, les morts hantent ses cauchemards sous l’apparence de fantômes blancs.
Heureusement, petite lumière dans les ténèbres, Komona rencontre justement « Le Magicien », enfant soldat albino. Les deux s’épaulent puis l’humanité reprend le dessus quand effleurent quelques sentiments. Il faut d’ailleurs saluer l’interprétation absolument somptueuse des deux acteurs, Rachel Mwanza et Serge Kanyinda. Le cauchemar est d’ailleurs devenu conte de fée pour Rachel Mwanza, cette enfant des rues devenue actrice pour la première fois et dont le rôle de Komona lui valu l’Ours d’argent au festival de Berlin.

Bref, on aurait envie de défendre ce film de toutes nos forces car l'enjeu du sujet le mériterait amplement. Ce film est en effet un incroyable témoignage pour les atrocités qu'ont pu vivre ces enfants soldats en Afrique. Il devait donc être leur voix, leur ambassadeur. Malheureusement, il y a une sorte de froideur, de distance par rapport au récit qui laisse le spectateur au bord de la route des émotions alors qu'elles devraient nous submerger.
Peut-être est-ce dû à un problème de structure narrative ? Komona raconte son histoire au futur enfant qu'elle porte en elle: cela tue tout suspense puisqu’on sait qu’elle en sortira vivante.
Le film manque également de puissance. A vouloir éviter à tout prix de tomber dans le pathos larmoyant, on a du mal à s’identifier aux personnages. Les faits sont présentés de manière trop plate. Là où on devrait être dérangés, bousculés, on ne ressent que l’effroi, mais pas de pulsion de revanche, pas même de haine pour les agresseurs.
Le rythme n’aide pas. Trop lent, trop de silences, le récit devient lourd. Quant à la narration de Komona, sa voix off est souvent incompréhensible et monocorde. Cette lenteur revendiquée provoque au final un certain ennui dommageable au propos du film. Le récit est également décousu.
Au final, c’est un film dur mais certainement utile. Probablement un peu trop optimiste, il a le mérite de porter un regard attachant et plein d’humanité sur ces enfants soldats. Et le titre est un joli paradoxe : Komona est une rebelle qui lutte pour sa vie, contre l’oppression et contre ses agresseurs, qui eux-mêmes se proclament rebelles contre le Gouvernement en place. La rébellion, tout à la fois magnifique et/ou violente…
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