“The Wailing” (“The Strangers” / Gokseong): joli mélange de genres…
- Marc-Olivier Fritsch
- 21 juil. 2016
- 4 min de lecture
De Na Hong-jin (2016 – 156 minutes)
Avec Kwak Do-Won, Hwang Jeong-min, Chun Woo-hee, Jun Kunimura,…
Après une très longue absence, en raison à la fois de mon ptit bonhomme et de visites familiales, je vous reviens avec un film qui a défrayé la chronique à Cannes en hors compétition cette année. Na Hong-jin, nouveau réalisateur prodige du cinéma coréen, était très attendu depuis ses succès précédents, « The Chaser » (2008) et « The Murderer » (2011). Avec « The Wailing », que j’ai vu dans le cadre du festival Fantasia 2016 (excellent festival !), il livre une nouvelle œuvre marquante et inclassable.

En tant que nouveau Directeur des Communications et des Relations Publiques du festival « Film Noir au Canal » (www.filmnoiraucanal.org , auto-pub perso en passant, fait toujours du bien ;-) ), je ne peux m’empêcher de commencer cette critique en faisant un parallèle avec les code de ce genre, ici très bien reproduits.
Car « The Wailing », c’est avant tout une ambiance assez sombre. Clin d’œil à « Blade Runner » (Ridley Scott, 1982), la pluie tombe en continu, les lumières sont souvent sombres et la tension omniprésente. Le choix de situer l’histoire dans un village rural isolé de Corée du Sud n’est pas un hasard non plus. Les petites bicoques paysannes tombent en ruine, les éclairages publics ne courent pas les rues, les forces de police tout comme les témoins potentiels ne sont pas très nombreux. Au passage, après deux films urbains, cela permettait aussi à Na Hong-jin d’explorer de nouveaux terrains de jeu.

Autre élément classique du « film noir », le film débute avec d’atroces crimes et une enquête policière. Sauf que très vite, on comprend que le réalisateur ne voudra pas rester enfermé dans des codes cinématographiques connus. Malgré cette lourde ambiance, le film prend vite des accents comiques vraiment surprenants. Les policiers qui mènent l’enquête ne sont pas très fins et sont souvent tournés en ridicule. Un peu comme dans « Memories of Murder » (Joon-ho Bong, 2003), l’humour fonctionne bien dans un film noir et c’est une première bonne surprise.
Peu à peu, le film glisse vers le fantastique, puis vers le thriller, et enfin vers le film d’horreur voire d’épouvante, avec un passage «film de zombie », avant de revenir à du surnaturel à portée philosophique. La scène du rituel chamanique, absolument somptueuse, est, quant à elle, assez proche du documentaire. Les couleurs, les costumes, les percussions y sont sublimes et le combat entre deux rituels est subtilement rendu. Hwang Jeong-min incarne le chaman avec un certain charisme.

Bref, Na Hong-jin oscille entre hommages à des genres et des films qu’il semble clairement affectionner ("L’exorciste" - Friedkin 1973 , "Rosemary’s baby" - Polanski 1968) et simple mélange des genres dicté par la trame narrative. Le réalisateur s’amuse à brouiller les pistes et réinvente certains codes de ces différents genres. Cela fonctionne bien, excepté pour la scène de zombie, qui, à part un effet burlesque assez drôle, ne sert pas vraiment l’intrigue principale.
Toujours est-il que « The Wailing » est clairement un film prenant et esthétique à souhait. Les paysages de la campagne sud-coréenne sont magnifiques. En outre, il se permet d’aborder quelques questions philosophiques, chose suffisamment rare dans les films d’horreur pour le souligner.
En premier lieu, la religion y est manifestement interrogée, que ce soit à travers la citation de la Bible en ouverture, ou encore à travers ce jeune prêtre en formation. Ce dernier, tout comme le héros, sera confronté à sa propre foi. Doit-on croire ? Et si oui, en qui ? En quoi ? Il y a d’ailleurs un jeu subtile entre le prêtre, le Japonais, le Chamane et la fille qui représentent tous à leur manière les similarités et les différences entre les religions chrétiennes, bouddhistes et le Chamanisme.
La question de la relation à la mort est aussi suggérée : qu’y a-t-il après la mort ? Comment survit-on quand on est confronté aux départs des membres de sa propre famille ? D’ailleurs, « The Wailing » est aussi une étude de la famille. Jusqu’où peut-on aller pour protéger les siens ? Cette protection est-elle d’ailleurs toujours la bienvenue ? Ne peut-elle pas aussi comporter ses propres excès ?
Enfin, le film aborde une autre question furieusement d’actualité : la peur de l’inconnu, de l’étranger. Ainsi, ce Japonais, joué par Jun Kunimura, star japonaise fétiche de Kitano et Miike, aperçu aussi dans "Kill Bill: Volume 1" (Quentin Tarantino, 2003), est l’étranger, soit l'accusé idéal pour tous les habitants de ce village coréen (Goksung, titre coréen du film).

C’est certain, on est pris par le mystère, la tension est palpable, le danger rôde et peut frapper à tout moment. Telle une tragédie grecque, le sentiment d’inéluctabilité domine pour notre héros, policier et père de famille très bien interprété par Kwak Do-Won. Côté acteurs, la palme revient tout de même à la jeune Kim Hwan-hee, simplement époustouflante. Pas étonnant que beaucoup de spectateurs et de critiques aient crié au chef d’œuvre car le film est effectivement marquant.

Pourtant, il lui manque un petit quelque chose qui me ferait aussi applaudir des trois mains. Peut-être est-ce la longueur du film, 2h36, pas toujours justifiée ? Peut-être est-ce aussi les (trop ?) nombreux rebondissements qui deviennent un peu excessifs pour assurer un vrai final réussi ? Ou bien est-ce le fameux « twist » de fin qui suscite tellement de questions qu’il remet presque en cause la cohérence du scénario ?
Une chose est sûre, le cinéma coréen est vraiment en pleine ascension et a encore de beaux jours devant lui... !




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