« Habemus Papam » : la comedia dell arte !
- Marc-Olivier Fritsch
- 16 mai 2016
- 4 min de lecture
De Nanni Moretti (2011 – 102 minutes)
Avec Michel Piccoli, Nanni Moretti, Jerzy Stuhr,…
Ah, le cinéma italien ! L’inimitable cinéma italien ! Toujours en écho au festival de Cannes qui a commencé la semaine dernière et dont Nanni Moretti, réalisateur-acteur, est un grand habitué, j’ai découvert « Habemus Papam » grâce à Arte +7 sur Internet. J’ai tellement apprécié qu’il fallait que je partage mon opinion avec vous.

Cela commence comme un documentaire. Les premières images sont d’un réalisme impressionnant. Seul intermédiaire entre les images et les spectateurs, ce jeune journaliste qui décrit la scène en direct pour sa chaîne de télévision, remplissant en même temps la fonction de narrateur principal du film.
On est très vite plongé au cœur du Vatican et notamment du Conclave réunissant tous les Cardinaux chargés de désigner un nouveau Pape. Qui n’a jamais rêvé de percer ce grand mystère du Conclave ? Ce processus électoral fait en effet l’objet de nombreux fantasmes. C’est d’ailleurs devenu tellement mystérieux qu’une expression est même passée dans le langage commun : « la fameuse fumée blanche » sortant de la cheminée de la Chapelle Sixtine où se réunissent les Cardinaux, indiquant qu’un nouveau Pape a été élu. Aujourd’hui, « la fumée blanche » est utilisée pour décrire la résolution de toute situation complexe impliquant une réunion à hui-clos, aussi bien dans le monde politique que dans la sphère économique.
Or, l’élection d’un Pape est extrêmement normée. Les Cardinaux sont tous vêtus d’habits religieux particuliers dont certains aspects correspondent à la région géographique dont ils sont originaires et qu’ils représentent. Certaines parties de la procédure imposent un silence complet quand d’autres laissent libre cours à toutes les tractations possibles et imaginables. C’est évidemment cette seconde partie qui alimente les fantasmes. Et Moretti s’amuse comme un fou à montrer « les grands » de l’Eglise catholique évoluer comme des enfants dans cet univers si codifié. Ainsi, ceux qui essayent de copier leur voisin pour voter ou ceux qui frappent frénétiquement leurs stylos contre la table produisant une musique rythmique étonnante.
Evidemment, tout ceci devient vite ridicule. Nanni Moretti prend un malin plaisir à se moquer de tous ces rituels. Beaucoup de règles qui étouffent d’ailleurs l’humain et sa spontanéité. Le thème de l’enfermement est d’ailleurs omniprésent : à la fois règle du Conclave puisqu’aucun Cardinal ne doit avoir de contact avec l’extérieur pendant le processus électoral, mais aussi l’enfermement de chacun d’entre eux chaque soir seul dans sa chambre. Enfermement psychologique enfin, avec tout ce naturel réprimé.
Pire, ces règles aboutissent même au contraire de la plus simple morale religieuse : pratique du mensonge, ignorance des besoins de l’autre comme lorsque Brezzi, le psychanalyste joué par Nanni Moretti, ne peut même pas prévenir ses enfants qu’il ne pourra pas les voir le temps qu’il devra resté enfermé avec le Conclave.
Shakespeare a écrit « La vie est un théâtre ». A l’instar de Roberto Begnini, ici son grand frère cinématographique, Nanni Moretti reprend ce constat à son compte. D’ailleurs, lorsqu’on lui demande ce qu’il fait dans la vie, le nouveau Pape déclarera lui-même « Je suis un acteur ! Un acteur de théâtre. J’ai toujours aimé ça. Les tournées, les voyages d’une ville à l’autre, les répétitions, les premières quand on lit des critiques tous ensemble… ». Il tentera même de remplacer un comédien malade jouant du Tchékov.

Tout devient alors prétexte à exagération. Ces 3 ecclésiastiques médecins qui, tel Fernandel, dès la fin de leur service se comportent comme trois piliers de bar commandant un café à la cantine du Conclave. Tout devient totalement décalé, absurde et surtout très drôle comme cette partie de Volley-Ball entre Cardinaux dans la cour du Vatican. Il y a quelque chose de jouissif de voir ces vieux cardinaux faire valser leurs « soutanes » et s’ébrouer comme des enfants. Une véritable « Comedia dell arte ». Un clin d’œil ironique et en même temps une ode à l’enfance et à l’humanité. Enchaînant les situations grotesques avec un humour burlesque, Moretti se moque en effet gentiment de l’Eglise et nous amuse beaucoup.
Pourtant, il ne s’agit point de méchanceté gratuite. Car en les confrontant à des joies simples parfois oubliées, Brezzi, et donc Moretti le réalisateur également, renvoit ces hommes de Dieu et ces grands dirigeants de l’Eglise à leur condition humaine. Ce ne sont plus que de simples hommes, autrefois enfants, jouant ensemble.
Evidemment, la psychanalyse n’est pas épargnée non plus. Le psychanalyste joué par Moretti se voit ainsi reproché de voir « la dépression partout » et n’est pas capable d’accepter le divorce de sa femme autrement qu’à travers un problème d’égo de son épouse. Le choc entre les deux monde est d’ailleurs brutal puisque Brezzi est accueilli par le plus influents des cardinaux avec cette réserve cinglante : « Il n’est pas superflu de vous rappeler que le concept d’âme et celui d’inconscient ne peuvent absolument pas exister ».

Mais outre cet humour jouissif et ces messages plus profonds, « Habemus Papam » est aussi un joyau de performance d’acteur. Michel Piccoli est absolument grandiose en Pape submergé par la pression. Et quel bonheur de l’entendre jouer en italien ! Cette langue d’une musicalité prodigieuse est d’ailleurs accompagnée d’une très belle bande son de musique classique avec une splendide chanson espagnole au milieu.
Ce bel oiseau échappé de sa cage dorée du Vatican et joué par Piccoli, finira par être rattrapé par ses obligations. Et comme dans un dernier paradoxe, lui qui, en tant que Pape, devrait représenter le peuple, vivre comme les gens « normaux » et avec eux, pour mieux les comprendre, est soustrait à la société pour remplir son rôle de Chef de l’Eglise.
Quand le cinéma mêle humour et réflexion, tendresse et critique, que demander de plus ?!




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