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"Tom à la ferme" : tout sur ma mère !

  • Marc-Olivier Fritsch
  • 9 mai 2016
  • 5 min de lecture

De Xavier Dolan (2013 – 102 minutes)

Avec Xavier Dolan, Pierre-Yves Cardinal, Lise Roy, Evelyne Brochu,…

En prélude à l'ouverture du Festival de Cannes cette semaine et en hommage à la belle présence canadienne de l'édition 2016, je vous propose une critique de « Tom à la ferme » du prodige Xavier Dolan, qui sera d'ailleurs à nouveau présent à Cannes cette année avec « Juste la fin du monde ».

Ayant déjà vu certains de ces films, je voulais essayer de comprendre le phénomène et tenter d'analyser son talent. Pourquoi soulève-t-il tant d'enthousiasme et d'admiration ? "Tom à la ferme", sorti après le succès de "Laurence anyways"(2012) et avant le triomphe de "Mommy" (2014).


Tom à la ferme Xavier Dolan Cannes

Dolan, c'est avant tout une manière unique de filmer. Il aime user de séquences caméra à l'épaule très proche des personnages pour accentuer le réalisme et la subjectivité du récit, favorisant l'identification aux protagonistes. Outre cette caméra nerveuse, il aime aussi filmer ses personnages de dos, provoquant le mystère et créant à la fois de la tension et de la curiosité.


Mais le « style Dolan », ce ne sont pas que des images, c'est aussi de la musique. Un peu comme le cinéma d'Almodovar, voire celui de Tarantino, Dolan affectionne les scènes en apparence banales mais totalement sublimées par la musique. Une de ses marques de fabrique consiste ainsi à revisiter des chansons populaires de variété en faisant un parallèle entre les paroles et le récit du film. La similarité est d'ailleurs souvent soulignée par une scène de karaoké, que ce soit dans "Mommy" ou "Tom à la ferme". Mais dans ce dernier, les chansons de variété sont complétées par la musique classique angoissante de Gabriel Yared. En outre, l'atmosphère pesante du film est renforcée par de nombreuses scènes assez silencieuses ou sans fond musical qui font ressortir encore davantage la musique lorsqu’elle reprend.


Autre constante stylistique, les fameuses bandes noires façon pellicule qui apparaissent en haut et en bas (ou à gauche et à droite dans « Mommy ») dans les moments de tension. Artifice selon moi pas toujours justifié d'ailleurs car cela n'apporte rien au propos, davantage à la singularisation du style Dolan. Attention à ne pas trop verser dans l'esthétisme dont un tel talent n'aurait point besoin pour donner sa pleine mesure...

En fait, Dolan entretient un rapport assez paradoxal au cinéma. Représentant la "nouvelle génération », on sent qu'il cherche à tout prix à s'affranchir des codes et des conventions (bandes noires type pellicule plusieurs fois par film, pas de générique d ouverture...). En même temps, à l'image de Tarantino, et en amoureux du cinéma, il rend constamment hommage aux grands du 7e art. Ainsi, dès l’ouverture de "Tom à la ferme", Dolan reproduit l'ouverture de "Shining" de Kubrick avec ce trajet d’une voiture (magnifique plongée vue du ciel), roulant seule sur une longue ligne droite perdue au milieu des champs vers une destination inconnue et déjà inquiétante.


Mais Dolan se démarque aussi par le choix de ses sujets. Son cinéma est très psychologique, les sentiments sont bruts, les émotions fortes et les personnages à fleur de peau.


Dans "Tom à la ferme", il s'agit d'un jeune homosexuel se rendant aux funérailles de son partenaire. Ce dernier est originaire d'une famille de fermiers dont le père est décédé. Tom est donc accueilli par la mère, ignorant l'homosexualité de son défunt fils, et par Francis, le frère.

Dans cette campagne isolée, le deuil créé déjà une atmosphère assez lourde. Mais le talent de Dolan, c’est que tout l’environnement contribue à créer un climat oppressant. La ferme est sordide, la météo souvent nuageuse et la campagne boueuse.

D’un huis-clos envoûtant et dérangeant, on passe alors à un film noir suffocant où la violence s’installe progressivement.


Violence sociale d'abord, avec ce choc entre deux mondes, celui de la ville et celui de la campagne. Tom, joué magistralement par Dolan himself, est typiquement urbain avec ses cheveux longs jaunes bien travaillés, son blouson en cuir et ses tatouages. Quand la mère lui demande ce qu'il fait dans la vie, on sent bien sa gêne à répondre sur son métier de publicitaire, difficilement compréhensible pour ceux qui "travaillent la terre". D'ailleurs, chez eux, encore plus qu'à la ville, l'homosexualité est socialement intolérable.

Tom à la ferme Pierre-Yves Cardinal

C'est pourquoi la violence devient très vite psychologique et physique. Francis, impeccablement incarné par Pierre-Yves Cardinal, intimide Tom, puis le menace et finit par le frapper afin qu'il ne révèle rien de sa liaison avec son défunt frère à leur mère, déjà suffisamment peinée par le deuil. C’est un film sur les non-dits et on est littéralement asphyxiés par ces images glaciales et crues de ce décor inhospitalier, de ces abattoirs, de ce sang indélébile d’un veau qui vient de naître. Les agressions se succèdent, dans un champ de blé jaunâtre en plein brouillard, en pleine nuit dans l’obscurité la plus totale.

En réalité, Francis ne fait que reporter sur Tom la violence qu'il subit lui-même de sa mère. Car cette dernière est extrêmement froide et dure avec lui. A travers son deuil, on peut légitimement se demander si elle ne préférait pas son second fils, attisant la jalousie de son aîné.

Tom à la ferme Lise Roy

Evidemment, Francis souffre mais paradoxalement, fait tout pour protéger sa mère et lui plaire. Le maltraité qui aime et protège son bourreau, grand classique de la psychologie. Et Dolan multiplie ce syndrome de Stockholm puisque Tom, physiquement violenté par le frère, finit par éprouver des sentiments pour son agresseur. Est-ce simplement de la compassion, de la compréhension devant sa souffrance ? Ou bien est-ce davantage, laissant supposer une nouvelle relation homosexuelle naissante ? La scène de tango entre les deux hommes est plus que suggestive à cet égard et pousse au passage encore plus loin l'analogie avec Almodovar. Tom fait en même temps une sorte de transfert amoureux de son défunt compagnon sur son frère. Il lui avouera même: "tu as la même odeur, la même voix". De son côté, Francis refoule-t-il son désir pour Tom et les hommes en général ?


On est donc au cœur d'un triangle amoureux très complexe, voire d'un quatuor si l'on inclut le défunt à la mère, au fils/frère (Francis) et au partenaire (Tom). L’arrivée de Sarah, cinquième élément, va tout faire exploser.

Cela nous ramène au fond du cinéma de Dolan où, encore une fois, comme chez Almodovar, la question de la relation à la mère est omniprésente. Cette mère à la fois aimante et étouffante, adorée et détestée. Dès lors, il est assez logique que l'amour et la mort s'enlacent, tel ce veau mort que porte Tom dans ses bras. Le frère étrangle Tom qui se laisse faire par pulsion suicidaire, comme un couple sado-maso qui mène sa danse tragique.


Au cœur de la tourmente, Dolan multiplie les gros plans des visages afin de capter la détresse intérieure de ses personnages. Cela accentue encore le côté psychologique du film. Et quelle bonne idée de reprendre Lise Roy et Evelyne Brochu, formidables actrices de la pièce de théâtre de Michel Marc Bouchard dont le film est une adaptation.

Tom à la ferme Evelyne Brochu

Pourtant, comment ne pas voir à travers ce film une sorte d'autobiographie de Dolan ? On ne peut s'empêcher d'imaginer toutes les violences auxquelles il a dû être confronté en tant qu'homosexuel dans la vie réelle. Mais Dolan, résilient, parvient à transcender cette probable souffrance en génie créateur avec une sensibilité ébouriffante.


« Tom à la ferme » nous plonge ainsi dans les sombres et bas instincts de la nature humaine entre perversion, désirs refoulés et mensonges. Tout est question d’attraction-répulsion, de sexualité et de morbidité.


Malheureusement, la fin nous laisse justement un peu sur notre faim. On s’attend à une sorte d’explosion paroxystique avec une révélation de secret de famille qui n’arrivera finalement jamais. Un peu comme le talent de Dolan dont le mystère subsiste et persiste toujours à la fin de ses films… !

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