« Le Voleur de bicyclette » : « Il y a un remède à tout, sauf à la mort »
- Marc-Olivier Fritsch
- 11 avr. 2016
- 4 min de lecture
De Vittorio de Sica (1948 – 93 minutes)
Avec Lamberto Maggiorani, Enzo Staiola, Lianella Carrel,…
Je dédie cette critique à mon père. En effet, je n'ai jamais compris d'où me venait cet amour pour le cinéma car mes parents ne vont voir un film que de temps en temps. Mais j'ai récemment appris que mon père avait créé un ciné-club dans ses jeunes années. Or, l'un des premiers films qu'il avait projeté et offert au débat était "Le voleur de bicyclette". Je voulais comprendre pourquoi: je saisis un peu mieux après l'avoir enfin vu...

Outre mon intérêt personnel relatif à mon père, quel est l’intérêt de voir ce film en noir et blanc de 1949 en 2016 ? La réponse fait froid dans le dos : il est à la fois très vieux mais son thème central, le chômage, est malheureusement encore totalement d’actualité.
Très vieux, car les mouvements de caméra de Vittorio de Sica sont aujourd’hui dépassés : quelques travellings par ci, quelques zooms par là et le reste en plans fixes. La trame narrative est également assez commune malgré les 7 scénaristes qui ont planché sur l’affaire. D’ailleurs le scénario tient en une ligne : dans l’Italie d’après guerre, Antonio, père très pauvre de deux enfants, se fait voler sa bicyclette, outil indispensable à son travail de colleur d’affiches.
Alors pourquoi ce film, vainqueur de l’Oscar du meilleur film de langue étrangère en 1950, a-t-il connu un tel succès populaire dans le monde entier ?
D’abord, Vittorio de Sica était à l’époque un réalisateur déjà reconnu. C’était son second Oscar après « Sciuscià » en 1948. Ensuite, ce film a été considéré comme le chef de file du nouveau courant dit néoréaliste. Ce mouvement cinématographique né dans les années 1940 consistait à rompre avec le cinéma de divertissement hollywoodien et de propagande mussolinienne en Italie, en centrant désormais les propos des films sur les préoccupations quotidiennes des gens.
Le néoréalisme, qui rappelle un peu le « Dogme 95 » des réalisateurs nordiques des années 1990, s’appuie sur plusieurs règles parfaitement respectées dans « Le Voleur de bicyclette » : tourner en extérieur dans des décors naturels avec des acteurs non professionnels, peu de moyens et d'effets techniques.
Or, ces règles servent admirablement le film de Vittorio de Sica. Car l’histoire, on y reviendra, n’est pas absolument transcendante. En revanche, le film montre parfaitement l'Italie de 1948, pays vaincu et exsangue qui ne s'est pas encore remis de la seconde-guerre mondiale. Au chômage s'ajoutent la pénurie de nourriture et un excédent de population qui va pousser à nouveau les Italiens à émigrer. Là encore, étonnante résonance avec notre actualité moderne et ces millions de d’immigrés qui fuient la guerre et la misère…
Le tournage en extérieur permet aussi de filmer Rome de manière particulière. On n’est pas loin du documentaire historique. Le décor et la vie en arrière plan sont quasiment aussi intéressants que l’histoire des personnages principaux. La lumière joue un rôle très important et est très bien maîtrisée. A l’inverse, la scène de pluie est incroyable de réalisme.

On reconnaît certains bâtiments historiques bien entendu (« La Machine à écrire » de Victor Emmanuel, la Piazza di Popolo,…) et on a plaisir à revoir le tramway en plein centre-ville, qui est revenu à la mode de nos jours en France. Mais c’est surtout les intérieurs soignés qui nous renseignent sur la vie de l’époque : croix sur les murs des chambres, mont de piété, maison de prostitution, chaises en bois dans l’église, cuisine dans la chambre… On a peine à croire qu’en 1948, on doive encore ramener l’eau dans des sceaux à la maison.
Autre élément choquant pour nous en 2016 : la place réservée aux femmes. Maria, femme d’Antonio, ne travaille pas, son rôle est celui de maîtresse de maison. Elle préparé le casse-croûte de son homme et de l’aîné. Elle veille sur le bébé. Et, cliché ultime, elle passe pour très sensible voire même un peu godiche quand elle se met à pleurer en apprenant que son homme s’est fait voler son vélo. En même temps, ce côté mélodrame populaire a certainement dû séduire les masses de l’époque.
Ce qui est en revanche remarquable, c’est encore une fois ce portrait social et historique de la société italienne d’après guerre. L’omniprésence de l’Eglise y est remarquablement décrite de même que l’incompétence de la police et l’inefficacité voire la bêtise de l’administration. Quoique en y réfléchissant, ne sont-ce pas encore des constats malheureusement applicables à nos jours ?
En tout les cas, malgré la distance dans le temps, on finit par s’identifier à Antonio et ressentir cette injustice insupportable dont il est victime. Son vélo est un magnifique symbole de liberté et d’indépendance. Car sans lui, pas de travail, pas de revenu, pas de nourriture, de vêtements et de place dans la société. Tout comme aujourd’hui ! Au passage, cela m'a furieusement rappelé "Beijing Bicyle" de Wiang Xiaoshuai sorti en 2001 et que j'avais beaucoup aimé.
Ici, la scène où Antonio emmène son fils manger à satiété dans un restaurant est terrible. L’inoubliable petit Bruno se compare aux enfants aisés de la table voisine, évidemment bien habillés et commande la même chose pour se sentir un peu comme eux. Enzo Staiola a 9 ans lorsqu’il joue Bruno et sa carrière cinématographique s’arrêtera rapidement dès 15 ans. Alors que Lamberto Maggiorani, 38 ans à l’époque, et totalement amateur, deviendra professionnel grâce à cette première prestation et jouera même pour Pasolini.

Pour autant, malgré toutes ces qualités et ces résonances avec nos actualités modernes, le film ne m’a pas convaincu. Il est certes emprunt d’une forte humanité puisque, encore plus que le travail, Antonio découvre qu’il est « riche » de sa famille et d’avoir un fils tel que Bruno qu’il a cru perdre l’instant d’avant. Mais le ton est très larmoyant, tout comme la musique. Le propos est parfois naïf voire simpliste. On aurait aimé que les personnages secondaires soient plus creusés comme Baiocco ou encore le vieux receleur.
Bref, « Le voleur de Bicyclette », Cher Papa, valait tout de même la peine d’être vu. Je ne suis pas étonné qu’en tant que professeur d’histoire, tu y ais trouvé de l’intérêt. Mais l’époque a accouché de films encore plus remarquables à cet égard. Je te propose d’en parler prochainement ensemble ou de poursuivre le dialogue à travers les prochaines critiques de Cinemarco… !
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