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“Nobody Knows” : moi, si !

  • Marc-Olivier Fritsch
  • 7 avr. 2016
  • 4 min de lecture

De Hirokazu Kore-Eda (2003 – 141 minutes)

Avec Yûya Yagira, Ayu Kitaura, Hiei Kimura Momoko Shimizu, You,…

Décidément, je ne fais pas exprès, mais tous les films me ramènent à Tarantino en ce moment. C’est encore le cas avec ce film japonais de 2003, pas forcément très connu malgré le prix d’interprétation masculine gagné fort légitimement à Cannes par l’acteur principal. Pourquoi Quentin ? Suivez-moi…


Nobody Knows Cannes 2003

Je connaissais déjà le cinéma de Kore-Eda avec « Still Walking » (2008) que j’avais bien apprécié. Il a bien grandi depuis puisqu’il a réalisé plusieurs films remarqués : « Air Doll » (2009), « I wish » (2012), ou encore « Tel père, tel fils » (2013),…

Et on reconnaît immédiatement sa « pâte » dans « Nobody Knows ». Inspiré de faits réels survenus à Tokyo dans les années 1980, on sent que Kor-Eda vient du documentaire. « Nobody Knows » est en effet un drame très réaliste qui conte la descente aux enfers de 4 enfants abandonnés à leur sort par leur mère.


Ceux qui n’aiment pas le cinéma contemplatif devront passer leur chemin. Le rythme est très clairement lent. La caméra est intimiste, tremblante, à hauteur d’enfants. La musique est avant tout instrumentale et à l’image d’Akira, l’aîné de la fratrie, on s’exprime peu. Du coup, le film est jonché de silences.


Mais comme souvent dans la vie réelle (NDLR : ma compagne est d’origine chinoise), les asiatiques ont cette fantastique capacité à s’exprimer par un simple regard ou un petit geste. Ainsi, Kore-Eda sait parfaitement capter les tourments intérieurs de chaque enfant avec sa caméra, à commencer par Akira donc, joué de manière étonnante par un jeune acteur de 14 ans ! Et Yûya Yagira a amplement mérité son prix à Cannes en 2003, dont le jury était présidé cette année par un certain…Tarantino !


Eh oui, Quentin a encore su reconnaître la virtuosité de cet acteur, dont son personnage doit brutalement assumer l’existence de ses trois frères et sœurs. On sent qu’il est tour à tour fier d’être « chef de famille », puis en colère contre son égoïste de mère et enfin accablé par cette charge trop lourde à porter pour ses frêles épaules âgées de 12 ans à peine.

Nobody Knows Yuyu Yagira

Certes, il ne parle pas beaucoup mais son regard intense trahit encore une fois parfaitement sa compréhension de la situation. Et Yûyu Yagira est aussi à l’aise dans ce rôle de passage à l’âge adulte que lorsqu’il retombe dans cette enfance qu’il n’aurait jamais dû quitter à cet âge. Par petites touches, Kore-Eda nous montre bien ce ballotement constant entre les deux états : Akira qui grimace à un enfant plus jeune, qui joue au Baseball avec la joie de celui qui viendrait de naître au monde, qui ramasse une balle rouge dans un parce et la lance le plus fort possible dans le ciel…


La question de l’enfance et de la mort est omniprésente dans le film puisque la seule véritable amie qu’Akira parviendra à se faire est elle-même ostracisée par les autres parce qu’elle ne se remet pas d’un deuil récent. D’ailleurs, cette frontière ténue entre la vie et la mort est subtilement rendue par les nombreux gros plans de mains et de pieds dont Kore-Eda use (et abuse ?). Ainsi, Shigeru, le plus jeune garçon se penche au balcon sur la pointe des pieds pour apercevoir un pot de fleur qui tombe, tel un présage morbide ? Ou l’aînée des filles, Kyoko, qui laisse tomber le rouge à ongles de sa mère, telle une blessure intime dont le sang coulerait sur le sol…


L’évolution physique des enfants est également très progressive et bien réalisée.Les cheveux poussent, la saleté s’installe, les corps maigrissent, les vêtements se trouent…L’hygiène laisse à désirer et le chaos s’installe à l’intérieur de ce petit appartement tokyoïte.

C’est d’ailleurs là une autre force de Kore-Eda. Il sait filmer comme nul autre ls détails de la vie quotidienne japonaise. Le supermarché où les gamins s’agenouillent pour lire des mangas et s’acheter des chocolats « Apollo ». La salle de jeux grouillante de monde et d’ados tel un casino bondé. Les chambres à coucher faites de jolis tatamis. Le bol de nouilles en soupe pour le dîner. La sublime écriture en signes de haut en bas. Les fameux cerisiers japonais roses tout en fleurs…

On a d’ailleurs du mal à s’imaginer qu’il s’agit d’un quartier de Tokyo. On se croirait plutôt dans une petite ville provinciale avec ses ruelles et ses grands escaliers que les enfants ne cessent de monter et descendre, à l’image de la vie, faite de hauts et de bas.

Nobody Knows escaliers

Mais au final, le film me laisse sceptique. Certes, l’entêtement d’Akira à vouloir tout faire pour que ses frères et sœurs ne soient pas séparés, est touchant. Malgré les conditions de vie extrême des enfants, ils parviennent quand-même à trouver des moments de jeux, de joie, d’entraide et de complicité. Kore-Eda a d’ailleurs déclaré « "Ce fait divers a suscité en moi diverses questions. La vie de ces enfants ne pouvait pas être que négative. Il devait y avoir une richesse autre que matérielle, basée sur des moments de complicité, de joie, de tristesse et d'espoir. Je ne voulais donc pas montrer "l'enfer" vu de l'extérieur, mais "la richesse" de leur vie, vue de l'intérieur."


Mais ce constat est drôlement dérangeant. L’aide de la société serait donc un remède pire que le mal, au péril parfois de la vie même des enfants ? « Nobody knows » …


Même trouble devant le comportement de la mère, très bien jouée par You, une star de la télévision japonaise dont c’est le premier rôle au cinéma. Comment en effet arriver à comprendre cette mère-enfant, mère-régressive, mère-copine totalement irresponsable ? Le réalisateur assume d’ailleurs ce regard exempt de condamnation a priori : "Je voulais que la mère apparaisse comme quelqu'un d'humain. Si les spectateurs sortaient de la salle en se disant que c'est une personne odieuse, j'aurais le sentiment d'avoir échoué. Je voulais qu'on puisse la comprendre. C'est la raison pour laquelle j'ai choisi You, qui dégage une grande humanité."

Nobody Knows You

Je comprends l’intention car cette mère est aussi une femme célibataire qui doit élever seule 4 enfants de pères différents. N’aurait-elle pas droit, elle aussi, à une vie personnelle ? Mais le problème est qu’elle semble avoir choisi cette vie. Pas les enfants ! La maison protectrice devient dès lors une maison-prison pour eux. Personne ne doit voir ces enfants, personne ne doit savoir, « Nobody Knows »… ! Moi si : c’est choquant !!!

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