"Coup d'éclat" : un être s'éveille...!
- Marc-Olivier Fritsch
- 5 mars 2016
- 4 min de lecture
De José Alcala (2011 – 92 minutes)
Avec Catherine Frot, Karim Seghair, Marie Raynal,…
Cette critique est très particulière pour moi. C’est en effet avec beaucoup d’émotions que j’écris ces lignes, ma première critique depuis la naissance de mon petit bretzel cantonnais au sirop d’érable ! Et c’est un petit miracle, car tous les parents le savent, le temps pour soi devient une denrée très rare et précieuse à l’arrivée d’un bébé.
Et cela tombe doublement bien : cette chronique « historique » est un hommage à une actrice que j’affectionne tout particulièrement, Catherine Frot, et qui fait l’actualité puisqu’elle vient de gagner le César de la meilleure actrice pour « Marguerite » que je n’ai malheureusement pas encore eu la chance de voir.
En réalité, je suis tombé par hasard sur « Coup d’éclat », téléfilm relativement banal en apparence mais qui m’a séduit par son réalisme social délicatement amené.

Autant l’admettre, il ne s’agit pas non plus du film du siècle. Mais Catherine Frot porte littéralement l’œuvre sur ses épaules et le fait tellement bien qu’on finit par ne plus pouvoir décrocher de l’écran.
Sur fond de crise économique et sociale, l’action se déroule à Sète dans la France dite profonde, d’aucuns ajouteraient presque « la France d’en bas ». Catherine Frot est Fabienne, un capitaine de police essentiellement chargé des reconduites à la frontière des clandestins illégaux. Usée par la routine, le poids des années et le sentiment d’inutilité de son action, Fabienne est à la dérive. Elle vit seule avec sa mère malade et est lasse de la vie.
Catherine Frot, reine de la comédie décalée, est à contre-emploi total. Au départ, le pari ne fonctionne pas. Elle est trop bien habillée pour le job, ce fameux côté « bourgeoise trop pincée » qui lui colle à la peau depuis « Un air de famille », son premier César en 1997. Pourtant, marque des grandes actrices, elle parvient à nous convaincre petit à petit. Très probablement parce que le film n’est pas qu’un polar, mais aussi et surtout une peinture sociale des marginaux, des ouvriers, des laissés pour compte de la société française en crise.
Pour les mettre en scène, José Alcala, le réalisateur est allé à leur rencontre : "j’ai beaucoup traîné dans les bars de ports, et surtout dans les campings, chez les gens qui y vivent à l’année. Ce sont des gens - souvent des retraités - un peu en rupture de banc mais qui ont une science de la vie à vous couper le souffle. Tout comme ces travailleurs immigrés que j’ai rencontrés dans des foyers et qui m’ont donné envie d’aborder le personnage de Kacem. (...) Je me fie toujours à la réalité pour raconter des histoires."
C’est d’ailleurs ce qui fait la force de ce film. Si le récit s’était uniquement concentré sur l’intrigue policière, il aurait objectivement été assez faible. Heureusement, José Alcala invente le polar social et braque ses projecteurs sur des lieux peu montrés au cinéma en général. Il plante son décor dans des hangars d’usines désaffectées, des immeubles délabrés, des petits appartements défraîchis, des mobile home, un sous sol désaffecté près du métro… Le réalisateur présente ces lieux comme « des endroits à la périphérie, des No Man ‘s land où quelque chose est en devenir, embryonnaire ». Un peu à l’image de Fabienne, l’héroïne, on devine que pour le réalisateur, la France aussi est à la dérive.
Pour renforcer ce propos politique, il utilise aussi des codes typiques du film noir : aucune musique, personnages mystérieux, atmosphère pesante,…
Or, Catherine Frot excelle dans ce registre. Elle éclaire littéralement le film. La caméra ne s’y trompe pas d’ailleurs, puisque, très subjective, elle accompagne Fabienne un peu partout.
Pour autant, tout comme le décor, les seconds rôles sont également très travaillés. Karim Seghair en ouvrier bourru d’origine algérienne et Marie Raynal, en femme forte indépendante qui se bat à tout prix pour protéger son enfant, sont formidables. Cette dernière est d’ailleurs un peu le double de Fabienne, toutes deux femmes fortes et assez secrètes, partageant le même désir de liberté. Saluons aussi la présence sympathique de Tchéky Karyo.
Mais la force de « Coup d’éclat » est l’absence de manichéisme. Chaque personnage a ses faiblesses et Fabienne n’échappe par à la règle. Elle malmène par exemple son subordonné. Selon Catherine Frot, « au départ, Fabienne est une femme-flic dure, fatiguée, fermée. Elle ne fait aucun effort d’attention envers personne, sauf peut-être envers sa mère, qui vit chez elle. En tant que flic, elle assume de faire le sale boulot, comme elle dit… Elle passe de l’autre côté du miroir. Il y a, par petites touches, des prémices à ce changement : la lassitude de la routine policière, le paradoxe d’être flic quand on a eu des parents communistes,.... Petit à petit, elle désobéit à sa hiérarchie, elle partage avec Kacem, maghrébin et ouvrier, une situation d’urgence, et au bout du compte, … c’est plus fort qu’elle : elle entre en résistance. »
Un peu comme « Marguerite », un peu comme Catherine Frot en fait ! Et si la résistance était de faire des choix audacieux comme José Alcala et Catherine Frot pour faire des films différents sur des sujets en apparence moins sexy ? Et si le véritable coup d’éclat était de faire une critique sur ce soit-disant « petit » film ? L’idée me plaît et je te la transmets, mon fiston !
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