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"Mustang" : "Liberté, j'écris ton nom"...

  • Marc-Olivier Fritsch
  • 17 févr. 2016
  • 4 min de lecture

De Deniz Gamze Ergüveng (2015 -93 minutes)

Avec Güneş Nezihe Şensoy, Doğa Zeynep Doğuşlu, Elit İşcan,Tuğba Sunguroğlu, İlayda Akdoğan, Nihal Koldaş, Ayberk Pekcan,…

Par un très triste hasard, j’écris cette critique le jour même où un attentat à la voiture piégée a fait au moins 28 morts et 61 blessés en plein centre d'Ankara, dans un pays secoué depuis plusieurs mois par la violence jihadiste et la reprise du conflit kurde.

Tragique coïncidence qui montre à quel point ce premier film totalement bouleversant de Deniz Gamze Ergüveng, jeune réalisatrice turque, est d’actualité.

Mustang affiche

« Mustang : cheval d'Amérique du Nord, descendant de chevaux espagnols, vivant à l'état sauvage et capturé pour le rodéo » (Larousse).


Les cinq jeunes filles de « Mustang » ont, elles aussi, de bien jolies crinières. Elles aussi sont sauvages, libres et furieusement belles avec leurs longues chevelures. Elles sont indociles et foncent dans la vie avec l'insouciance de la jeunesse. Comme les cinq doigts de la main, les jeunes filles se ressemblent, se complètent, se soutiennent, jouent et complotent ensemble, presqu’une fusion très organique en un seul corps. Espiègles, pures et innocentes mais avec un fort caractère, elles dégagent malgré elles un érotisme flamboyant.


Mustang soeurs

« Usine à épouses »


Or à 1000 km d’Istanbul, dans un milieu rural conservateur, le poids des traditions est très fort. Ces mustangs là doivent aussi être contrôlés, cachés, capturés. Les coups se mettent alors à pleuvoir, la maison familiale se transforme en prison et les mariages forcés vont mettre à mal le désir de liberté de ces jeunes filles.


A travers ce récit de cinq soeurs orphelines élevées par leur grand-mère et leur oncle, le film réussit magistralement à dénoncer l’oppression de certains hommes sur les femmes en Turquie. Pour eux, une femme est coupable dès l’origine puisqu’elle est une tentatrice. Elle doit donc se restreindre, contrôler tous ses faits et gestes afin d’effacer tout ce qui pourrait éveiller le désir chez les hommes. En un mot, il faudrait qu’elles ne soient plus femmes !


« Usine à épouses » : cette terrible expression employée par la plus jeune des protagonistes, narratrice du film, est d’une horrible justesse. La seule destinée possible pour ces filles est en effet de devenir épouse modèle le plus tôt possible, afin de pouvoir servir leur mari et nouveau dictateur.


Et le plus difficile à comprendre, c’est que ces jeunes filles y sont préparées par… des femmes ! Leurs grand-mère, tante, cousine, voisine, toutes s’efforcent au maximum de perpétuer cette domination masculine, cette société patriarcale archaïque.


Mustang mariage

Le film est d’une sensibilité et d’une intelligence rare. Deniz Gamze Ergüven évite tous les écueils : il n’est point question ici de situation politique turque même si le propos est éminemment politique ; la religion n’est pas non plus au centre des débats alors qu’on sent constamment sa lourde présence ; enfin, point de manichéisme, avec d’un coté la ville (Istanbul) idéalisée et la campagne diabolisée puisque même dans cette dernière on trouve des filles et des femmes qui vont à l’école et aux stades regarder les matches de foot. De même, tous les hommes n’agissent pas en tortionnaires comme le démontre ce jeune livreur sympathique et son camion rouge.


Enfin, malgré les restrictions de liberté et les agressions, les filles et le film réussit la prouesse d’instiller une belle dose d’humour comme lors de ce match de foot entraînant un « pétage de plomb » dans tous les sens du terme.


Révélations en série


Tous les acteurs sont criants de vérité à commencer par les 5 actrices qui jouent les sœurs. Mention très spéciale tout de même à Güneş Nezihe Şensoy qui campe magistralement Lela, la plus jeune et la plus indomptable des sœurs. Son charisme explose à l’écran et on sent une puissance de jeu phénoménale. De l’autre côté du spectre, Ayberk Pekcan incarne parfaitement l’oncle autoritaire, violent et rétrograde. Ses colères sont impressionnantes et la violence physique est tout à fait crédible.


Ce film nous révèle aussi une cinéaste hyper prometteuse. Deniz Gamze Ergüven, 37 ans, est totalement légitime pour parler de la jeunesse actuelle de son pays natal. Si elle a vécu entre la France et la Turquie, elle garde la distance nécessaire pour nous présenter un conte plein de fraîcheur et de poésie. Sa mise en scène est élégante, le scénario, coécrit avec Alice Winocour, est subtil et intelligent. Viennent s'ajouter la superbe photographie de David Chizallet associé à Ersin Gök et la jolie bande-son de Warren Ellis, membre de Nick Cave and the Bad Seeds.


Même si Deniz Gamze Ergüven (voir ci-dessous son interview dans "On est pas couché" du 13 juin 2015) a voulu témoigner de la difficulté d’être actuellement une jeune femme dans certaines parties de la Turquie, on sent aussi qu’elle a voulu montrer que son pays a de la ressource. Son film lui a permis de témoigner de cette vive énergie, de cette fougue et du potentiel de sa terre natale. Reste à savoir si le film pourra être vu en Turquie…

Références, ode à la liberté et bijou cinématographique


La référence à « Virgin Suicides » (2000, Sofia Coppola) avec ces adolescentes enfermées est assez évidente. Pourtant, j’ai beaucoup pensé également à « Bande de filles » (2014, Céline Sciamma), sans le contexte social et économique propre aux banlieues françaises. Les similarités sont nombreuses : même solidarité entre jeunes femmes, même force de groupe dans un contexte d’enfermement et de domination masculine, même soif de liberté et de joie de vivre, même puissance de caractères et même capacité de résilience.


Finalement, au moment où il est beaucoup question d’Islam radical et de soumission des femmes dans l’actualité, cette histoire raisonne très fortement dans nos cœurs. Et en même temps, elle est d’une intemporalité absolue. Car ce film est une ode à la femme, aux femmes mais au-delà à la liberté, à toutes les libertés. La liberté de ces femmes est d’ailleurs celle de tous les opprimés. Plus elles sont emprisonnées, plus on les agresse, et plus elles tenteront de s’échapper, plus leur détermination à ne pas se laisser dicter leur vie se renforce.


Il faut voir ce bijou cinématographique de toute urgence avant qu’il ne disparaisse des écrans. Et pourvu qu’il obtienne l’Oscar du meilleur film étranger puisqu’il représentera la France dans cette catégorie.




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