“Brooklyn“ : une petite sucrerie irlandaise...
- Marc-Olivier Fritsch
- 10 févr. 2016
- 4 min de lecture
De John Crowley (2015 – 113 minutes)
Avec Saoirse Ronan, Emory Cohen, Domhnall Gleeson,…

Vivant à Montréal, j’aurais dû intituler cette critique « une petite sucrerie italo-canadienne ». Le film de John Crowley, réalisateur irlandais, est en effet une coproduction canadienne, tournée en partie à Montréal. Mais malgré mon attachement à ma nouvelle patrie, force est de reconnaître que le contenu du film est quand-même essentiellement irlandais.
Certes, ce film gentillet n’est pas l’œuvre du siècle. Et pourtant, ça fonctionne. Sans doute parce qu’après un an d’immigration au Canada, cette histoire d’émigrée irlandaise à Brooklyn résonne en moi.
Tout en délicatesse, l’histoire se concentre davantage sur les émotions et sentiments d’Ellis (clin d’œil à Ellis Island), jouée par Saoirse Ronan, plutôt que sur les obstacles que pouvaient rencontrer les immigrés à leur arrivée en Amérique. Si l’on accepte cet angle, on pardonne mieux le silence sur les nombreuses difficultés auxquelles les immigrés ont probablement du faire face en réalité.
Le récit se meut alors en romance et en trio amoureux plus classique. Mais l’intérêt du film réside sans doute dans toute la palette de sentiments contradictoires qu’un immigré peut traverser : mal du pays, intégration progressive, sentiment de ne plus savoir où se situe sa «maison», éloignement des proches et finalement le choix d’une nouvelle vie entre deux patries. Ce n’est pas si facile de partir et laisser ceux qu’on aime derrière soi.
Si Emory Cohen, l’italien de Brooklyn, a un certain charisme et Domhnall Gleeson (le capitaine de « The Revenant ») , une certaine classe « so british », et si les seconds rôles féminins sont nombreux, la réussite du film tient tout de même beaucoup à la performance de Saoirse Ronan. Toute en émotions rentrées, mais déterminée à choisir sa vie, l’actrice irlandaise nous charme peu à peu à travers ce personnage de main de fer dans un gant de velours. Un tantinet froide et distante dans un premier temps, son cœur se réchauffe au gré de ses rencontres amoureuses et s’ouvre en même temps davantage aux spectateurs.
Petit regret néanmoins : on ne distingue pas facilement les rues de Montréal car les principales scènes en extérieur se déroulent en Irlande. En revanche, cette dernière est toujours aussi attrayante, entre petit village typique et grande plage sauvage tourmentée. Et que dire de ce chant gaëlique d’une pureté cristalline qui vient bercer nos oreilles et transpercer nos cœurs !
Un petit film tendre et émouvant telle une sucrerie que l’on savourerait en cachette !
PS : à l'occasion de ce thème sur l'immigration et en pleine crise dramatique des immigrés syriens, j'aimerais aussi partager avec vous une très jolie découverte :
The arrival

Roman graphique de Shaun Tan (Hodder Children's Books, 2006)
Rappelant à bien des égards le film de James Gray "The immigrant" (2013), Shaun Tan, australien d’origine malaisienne, nous invite à suivre le parcours d’un immigrant dans un pays imaginaire, peuplé de créatures bizarres et de machines fantasques.
Malgré l’absence de dialogue et de légende, Shaun Tan réussit pourtant la prouesse de parfaitement retranscrire les étapes d’une immigration et ses difficultés les plus fréquentes.
Il aborde ainsi successivement le départ et les adieux à la famille, la traversée en bateau, l’arrivée au port, véritable « Ellis Island » avec tri et nombreux contrôles, la difficulté à trouver un logement et un emploi, à comprendre la langue locale, à se repérer et à trouver son chemin, et enfin, sans doute le plus éprouvant, la distance de ses proches et la difficulté à se faire accepter dans ce nouveau pays et à se constituer un nouveau réseau d’amis.

De manière tout aussi incroyable, plusieurs dessins arrivent à évoquer des notions aussi complexes que le sentiment d’oppression dans la ville, la perte d’identité intrinsèque au travail à la chaîne, le besoin vital de fuir les guerres et les dictatures, et même tous les petits détails de la vie quotidienne qui forgent une culture commune.
Non seulement le roman ne comporte aucun dialogue, tel un hommage au cinéma muet, mais l’auteur choisit en outre de faire évoluer son récit dans des décors totalement irréels et imaginaires. D’abord perturbant, cela permet en réalité d’universaliser le propos. Aucun pays, ni aucun peuple réel n’est visé. Ou au contraire, tout le monde se sent concerné. Ce choix ajoute aussi beaucoup de poésie et de créativité à l’histoire. On est littéralement transporté dans un autre monde.
Enfin, et surtout, ce qui frappe en premier, ce sont les dessins noirs et blancs d’une beauté saisissante. Le trait de Shaun Tan est d’une pureté infinie. A la fois très réaliste dans l’expression des personnages et très inventif dans les décors, le graphisme est somptueux.

Quelques petits détails ont achevé de me séduire. Les pages ne sont pas numérotées et contribuent à la perte de repères poussant le lecteur à plonger dans l’imaginaire proposé. Enfin, le roman s’ouvre et se termine par une double page remplie de portraits d’immigrants de toutes origines et de tous âges.
Ode à la différence, au vivre ensemble, au rêve et aux petits plaisirs de la vie en famille, « The arrival » est vraiment un trésor à ne pas manquer ! Merci à ma « Douce et Tendre » de me l’avoir fait découvrir…





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